Dans un monde où la pression quotidienne, les exigences professionnelles et les sollicitations numériques ne cessent de croître, le stress est devenu le compagnon discret — mais souvent dévastateur — de nos vies modernes.
Pour mieux comprendre ce phénomène complexe, à la fois psychologique et physiologique, le magazine TunisiaWellbeing.com a rencontré le Dr Myriam DENGUEZLI, maître de conférences agrégée en physiologie humaine à la Faculté de Médecine Dentaire, titulaire d’un doctorat en sciences (PhD) et d’une habilitation à diriger les recherches (HDR).
Au fil d’un échange riche et accessible, elle décrypte les mécanismes du stress, ses signes d’alerte, ses conséquences sur la santé, mais aussi les stratégies efficaces pour le prévenir et le gérer — de la respiration à la pleine conscience, en passant par les bienfaits de la thalassothérapie.
Un entretien essentiel conduit par Mehdi KANTAOUI, éditeur de TunisiaWellbeing.com, pour aider chacun à reprendre le contrôle de son équilibre intérieur et à faire du stress un signal à écouter plutôt qu’un fardeau à subir.
Mehdi KANTAOUI : Comment définiriez-vous le stress d’un point de vue médical ? Est-ce une simple réaction émotionnelle ou un véritable trouble physiologique ?
Dr Myriam DENGUEZLI : Le stress est une réponse multidimensionnelle (psychologique + neuroendocrine + autonome) déclenchée quand une personne perçoit une situation comme nouvelle, imprévisible, incontrôlable ou socialement évaluée. Médicalement on le décrit via les réponses d’allostase : activation du système nerveux sympathique (adrénaline, noradrénaline) et de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (cortisol) pour mobiliser l’énergie et l’attention. Ce n’est donc pas une « simple émotion » : c’est une cascade physiologique qui, correctement adaptée, est utile (réponse aiguë), mais qui, si elle devient prolongée ou mal régulée, conduit à un véritable état pathologique.

Mehdi KANTAOUI : Quels sont les premiers signes qui doivent alerter (physiques, émotionnels, comportementaux) ?
Dr Myriam DENGUEZLI : Trois signes précoces fréquents :
Physiques : céphalées, tensions musculaires (nuque, dos), palpitations, troubles du sommeil (difficulté d’endormissement, réveils nocturnes), troubles gastro-intestinaux, fatigue non-récupératrice.
Émotionnels : irritabilité, anxiété, sentiment d’être débordé, humeur dépressive, difficulté à se concentrer.
Comportementaux : retrait social, augmentation de consommation d’alcool/tabac, changements d’appétit (hyperphagie ou anorexie), procrastination, performance au travail/études en baisse.
Lorsque ces signes persistent et altèrent le fonctionnement au quotidien, il faut consulter rapidement.

Mehdi KANTAOUI :Comment différencier « bon stress » (motivant) et « mauvais stress » nocif ?
Dr Myriam DENGUEZLI : On distingue :
- L’eustress: Stress perçu comme challenge gérable, court, mobilisateur
- Et le distress : Stress perçu comme menaçant, incontrôlable, prolongé.
L’effet sur la performance suit une relation en U inversé : un niveau modéré d’activation peut améliorer l’attention et la motivation, au-delà d’un seuil la performance décline et la santé se dégrade.
On différencie essentiellement par la perception (contrôle perçu), la durée et l’impact fonctionnel : si le stress augmente l’énergie et la performance sans épuisement, c’est généralement du eustress ; s’il provoque épuisement, erreurs, troubles du sommeil, détérioration des relations — c’est du distress.
***
Mehdi KANTAOUI : Le stress chronique est-il aujourd’hui un grand mal de notre époque ? Principales conséquences physiques et mentales.
Dr Myriam DENGUEZLI : Oui : le stress chronique est reconnu comme un facteur majeur de morbidité moderne — il contribue à l’“usure” physiologique (allostaticload) et augmente le risque de maladies cardiovasculaires, troubles métaboliques (obésité, diabète), dysfonction immunitaire, troubles du sommeil, douleurs chroniques, troubles anxieux, dépression et baisse de la cognition sur le long terme. Sur le plan biologique, on observe des dysrégulations de l’axe hypothalamo–hypophyso–surrénalien, de la variabilité de la fréquence cardiaque, inflammations systémiques et altérations métaboliques. Ces effets sont abondamment documentés par des revues et méta-analyses.

Mehdi KANTAOUI : Quels examens ou approches médicales pour mesurer le niveau de stress ?
Dr Myriam DENGUEZLI : Approche multimodale recommandée :
Entretien clinique structuré (antécédents, facteurs psychosociaux, impact fonctionnel).
Biomarqueurs (complémentaires) : cortisol salivaire, cortisol urinaire, marqueurs inflammatoires, mesures autonomes (variabilité de la fréquence cardiaque, pression artérielle ambulatoire). Aucune mesure biologique seule n’est suffisante — elles doivent être interprétées dans le contexte clinique.
Tests psychométriques complémentaires : échelles d’anxiété/dépression, questionnaires du burn-out selon le contexte professionnel.
L’évaluation doit aussi repérer risques suicidaires, comorbidités somatiques et consommation de substances.

Mehdi KANTAOUI : Moyens les plus efficaces pour gérer / réduire le stress au quotidien ?
Dr Myriam DENGUEZLI : Hygiène de vie : sommeil régulier (priorité), activité physique régulière (aérobie + renforcement).
Techniques psychologiques : thérapies cognitivo-comportementales pour restructurer pensées et stratégies d’adaptation ; interventions basées sur la pleine conscience montrent des réductions significatives du stress et de l’anxiété.
Gestion comportementale : priorisation, découpage des tâches, pauses régulières, limites numériques (réduction des alerts), réseau social de soutien.
Nutrition : alimentation équilibrée, éviter excès de caféine/alcool qui amplifient l’anxiété et perturbent le sommeil.
Quand nécessaire : médication prescrite par un médecin (anxiolytiques à court terme, antidépresseurs si indication) et suivi psychiatrique/psychologique.
Combiner activité physique + techniques de pleine conscience semble souvent plus efficace que chaque intervention isolée.

Mehdi KANTAOUI : Place des techniques de respiration, méditation, thalassothérapie ?
Dr Myriam DENGUEZLI : La respiration diaphragmatique: C’est une méthode simple, immédiate, qui module le système autonome et peut réduire l’activation sympathique et améliorer la variabilité de la fréquence cardiaque — utile comme stratégie de première ligne pour crises aiguës.
La méditation : Correspond à un ensemble de pratiques mentales visant à entraîner l’attention, la conscience de soi et la régulation émotionnelle. C’est une technique non médicamenteuse, sans effets secondaires, complémentaire à une prise en charge médicale. Son efficacité dans la réduction du stress, de l’anxiété et de la qualité du sommeil a été démontrée.
Thalassothérapie / balnéothérapie / balnéo : des études récentes et revues montrent des effets bénéfiques sur le bien-être, l’anxiété et certains marqueurs physiologiques ; bénéfice complémentaire pour relaxation et récupération.

Mehdi KANTAOUI : Le stress est-il « contagieux » au sein d’une famille ou d’une entreprise ? Comment limiter cette pollution émotionnelle ?
Dr Myriam DENGUEZLI : Oui — le phénomène d’emotional contagion/crossover” est bien documenté : l’émotion (y compris le stress) peut se transmettre entre individus au sein d’un foyer ou d’un lieu de travail par mimétisme émotionnel, comportements, et processus interactionnels, ce qui peut amplifier le stress collectif. Dans les organisations, ceci affecte la performance et le bien-être ; dans la famille, le stress d’un membre se répercute sur les autres.
Mesures pour limiter la « pollution émotionnelle » : communication transparente, formation des managers à la régulation émotionnelle, promotion d’un climat de soutien, établir des routines de débriefing, encourager pauses et ressources de soutien, et développer des compétences individuelles (mindfulness, gestion émotionnelle). Intervenir tôt sur le stress aigu dans l’équipe/famille réduit le risque d’escalade.

Mehdi KANTAOUI : Quand consulter un professionnel de santé pour un problème de stress ? Signes à ne pas ignorer.
Dr Myriam DENGUEZLI : Consulter si :
Les symptômes durent plusieurs semaines et altèrent le sommeil, le travail, les relations ou les activités quotidiennes ;
Consommation accrue d’alcool/drogues pour « tenir » ;
Difficultés majeures de concentration, perte d’appétit importante ou perte de poids non voulue ;
Symptômes somatiques persistants (douleurs thoraciques, essoufflement) sans explication médicale ;
Pensées suicidaires, désespoir, incapacité à fonctionner.

Mehdi KANTAOUI : Message final au lectorat du magazine TunisiaWellbeing qui se sent dépassé ou épuisé par leurs responsabilités ?
Dr Myriam DENGUEZLI : Vous n’êtes pas seul(e). Le stress est une réaction normale mais qui devient problématique lorsqu’elle s’installe et use le corps et l’esprit. Commencez par de petites actions quotidiennes : pauses respiratoires, sommeil régulier, marche ou activité physique courte mais régulière, parler à une personne de confiance. Si la charge reste lourde malgré ces mesures, consultez : un entretien médical et des outils validés peuvent faire la différence. La prévention et l’intervention précoce restaurent souvent bien-être et fonctionnement. Si vous avez des pensées d’automutilation ou de suicide, demandez une aide immédiate.

De cet échange avec le Dr Myriam DENGUEZLI, se dégage un message clair : le stress n’est pas un ennemi à abattre, mais un signal d’alarme à comprendre et à apprivoiser. Il fait partie intégrante de la vie moderne, mais c’est sa durée, son intensité et notre manière d’y répondre qui déterminent ses effets sur la santé.
Pour préserver son équilibre, il ne s’agit pas de viser une vie sans tension, mais d’apprendre à écouter son corps, à ralentir, et à reprendre la main sur ses routines.
Voici quelques repères essentiels issus des conseils du Dr Myriam Denguezli :
🌿 1. Prioriser le sommeil et le mouvement.
Un repos régulier et une activité physique modérée mais constante (marche, natation, yoga, respiration consciente) constituent les bases d’un système nerveux équilibré.
🧘♀️ 2. Cultiver la pleine conscience.
Quelques minutes par jour de respiration profonde, de méditation ou de relaxation permettent de réduire la charge mentale et de restaurer la clarté d’esprit.
🍎 3. Prendre soin de son hygiène de vie.
Limiter les excitants (café, alcool, écrans tardifs) et maintenir une alimentation variée favorise une meilleure gestion des émotions et du sommeil.
🤝 4. Ne pas rester seul face au stress.
Partager ses difficultés, consulter un professionnel ou s’appuyer sur un réseau de soutien n’est pas une faiblesse — c’est une forme de lucidité et de force intérieure.
🌊 5. Se reconnecter à soi.
Un séjour de thalassothérapie, une pause au bord de la mer ou un simple moment de silence peuvent devenir des espaces de régénération indispensables.

Mehdi Kantaoui – Animateur radio à RTCI
& Editeur du magazine TunisiaWellbeing.com







